Exercice de compréhension écrite



Quel est l'enjeu de tout gouvernement en ce début de XXIe siècle ?

1 - Dans un monde mondialisé, déstabilisé par des opérations financières transnationales, secoué par des crises climatiques ou sanitaires qui ne connaissent pas les frontières, par la relocalisation conflictuelle des puissances économiques.



2 - Nous devons donc inventer de nouvelles sociétés, plus sobres, résilientes, attentives aux générations futures. Nous devons inventer d'autres richesses, plus solidaires, une autre conception de la prospérité.


3 - Consommation, production, travail, modèle industriel, énergie, fiscalité, flux internationaux, tout doit être remis à plat. Et pas seulement au sommet, dans de vastes plans élaborés par les élites dirigeantes, mais au plus près de chacun d'entre nous, dans notre vie quotidienne.






4 - La V ième (cinquième) République : l'incompatibilité entre un président qui gouverne élu par le peuple pour cinq ans et un premier ministre qui est responsable de sa politique devant les députés élus par le peuple pour cinq ans.



5 - Ce qui empêche cette révolution nécessaire de nos mentalités et de nos pratiques, c'est aussi la Ve République. Comment peut-on imaginer qu'un tel système de concentration du pouvoir, de caporalisation du débat politique, d'immunité accordée aux dirigeants puisse engager et mobiliser en profondeur le pays tout entier face aux défis qui l'attendent ?



6 - S'il y a " crise de régime ", elle est d'abord là, dans la distance de plus en plus importante entre l'architecture institutionnelle, les conceptions de l'exercice du pouvoir qu'elle porte et les enjeux du siècle.



7 - La surpuissance présidentielle n'est plus maîtrisée par les titulaires de la fonction.
Là où il faudrait une démocratie plus vivante, pluraliste, inclusive, sociale, mieux inscrite sur les territoires de la vie quotidienne, favorisant le débat et la coélaboration citoyenne des politiques publiques.



8 - La Ve (cinquième) République ne sait répondre que par la vision surannée de l'homme providentiel, à qui tout est délégué pendant cinq ans, sans aucun véritable contre-pouvoir.



9 - C'est toute la vie publique qui en est affectée. Participer à la course des petits chevaux de l'élection présidentielle est devenu l'ambition première de toute organisation politique. Et, une fois conclue la grand-messe présidentielle, le vainqueur n'attend qu'une obéissance aveugle des députés de son camp désignés dans la foulée, sommés de garder le doigt sur la couture du pantalon.






10 - Ajoutons que le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui est l'une des marques de fabrique de la Ve République, est un instrument de réduction du pluralisme, qui condamne la représentation nationale à être sans prise sur la société.




11 - Non seulement la France " représentée " est à mille lieues sociologiques de la France " réelle ", mais elle ne ressemble en rien à celle qui s'exprime lors du premier tour des élections majeures, lors des élections locales ou européennes.




12 - L'ensemble des députés ne représente même plus aujourd'hui la moitié du corps électoral. Pour certains, la bipolarisation est un gage de stabilité et d'efficacité.



13 -Deux grands partis et une alternance de présidents qui en sont issus seraient l'idéal d'une démocratie moderne. Mais il ne s'agit que d'un décor de théâtre dans lequel s'ébroue une classe politique discréditée.





14 - La crise de régime actuelle est une crise démocratique. Son lieu n'est pas d'abord la Constitution. Cette dernière n'est qu'un obstacle au renouveau nécessaire des modes de gouvernement, de délibération et de représentation.





15 - C'est pourquoi il est temps, sans ajouter de la crise à la crise, de remettre sur le métier la question institutionnelle pour refonder un pacte démocratique en mesure d'affronter les défis inédits du gouvernement de la société du XXIe siècle.

Bastien François
Professeur à l'université Paris-I et directeur du département de science politique à la Sorbonne / 

lemonde.fr décembre 2019




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