La loi Fioraso, nouvelle bataille d'Hernani
Toujours recommencée, la bataille des Anciens et des Modernes prend des allures de guerre de religion - ou d'affaire d'Etat - quand il s'agit de la langue française.
Pour les uns, la défense du français est une cause sacrée, tant la langue est l'âme d'un peuple, de son identité, de son histoire, de sa culture. Pour les autres, cette défense intransigeante relève trop souvent du combat d'arrière-garde et prive le pays des armes nécessaires pour affronter la compétition mondiale, à l'oeuvre dans tous les domaines.
On le constate, de nouveau, depuis peu. Une modeste disposition du projet de loi sur l'enseignement supérieur, qui sera défendu par la ministre Geneviève Fioraso à partir du 22 mai, à l'Assemblée nationale, a mis le feu aux poudres.
En effet, l'article 2 de ce texte prévoit de nouvelles exceptions au principe, fixé par la loi Toubon de 1994, selon lequel " la langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français ". En clair, il s'agit d'élargir la possibilité donnée aux universités françaises d'assurer des enseignements dans une langue étrangère, en anglais notamment.
Enfer et damnation ! L'Académie française a dénoncé " les dangers d'une mesure qui favorise la marginalisation de notre langue ". L'éminent linguiste et professeur honoraire au Collège de France Claude Hagège est parti " en guerre " contre " un projet suicidaire ". Le philosophe Michel Serres a fustigé un comportement de " pays colonisé, dont la langue ne peut plus tout dire ", abandonnant sa souveraineté linguistique face à l'impérialisme anglo-américain.
" Querelle déconcertante " et réaction d'un autre siècle, ont répliqué, dans ces colonnes, de non moins éminents scientifiques. Pour les Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi et Serge Haroche, pour Cédric Villani, médaille Fields, ou pour le président du CNRS, Alain Fuchs, " les voix qui s'élèvent au nom de la défense de la langue française paraissent totalement décalées par rapport à la réalité universitaire contemporaine et gravement contre-productives pour ce qui concerne les intérêts de la France et de la francophonie ".
Ils ont évidemment raison. Dès lors que l'anglais est la langue véhiculaire des scientifiques du monde entier et de l'immense majorité des publications et conférences scientifiques, ne pas y préparer sérieusement les étudiants et jeunes chercheurs français les prive d'atouts indispensables. Sans se préoccuper de la loi Toubon, les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs, ainsi que des centaines de masters universitaires l'ont parfaitement compris et ont, depuis des années, développé des enseignements en anglais.
De même, élargir les enseignements en anglais - notamment pour les masters - permettra de convaincre davantage d'étudiants étrangers de poursuivre études ou recherches en France et, au passage, d'apprendre et de pratiquer notre langue. Il s'agit donc d'un levier puissant pour contribuer à l'attractivité internationale de l'enseignement supérieur français.
Le Monde, c'est l'évidence, ne saurait négliger son rôle dans la défense de la francophonie et de notre singularité linguistique. Mais il ne saurait le faire à reculons. Comme le disait Maurice Druon, avocat s'il en fût du français : " Chaque langue est unique, toutes les langues sont complémentaires. " On ne saurait mieux dire. lemonde.fr