La Suède, pionnière de la pénalisation des clients
Près de quinze ans après l'entrée en vigueur d'une loi pionnière sur la pénalisation des seuls acheteurs de services sexuels, le bilan de la Suède est élogieux. C'est en tout cas le message qu'a reçu la ministre française des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, lors d'un voyage à Stockholm fin 2012.
Depuis 1999, la prostitution de rue a baissé de moitié, selon un rapport publié en 2011 pour le gouvernement. Sur les dix premières années (1999-2008), 1 800 affaires ont été traitées. 289 condamnations ont été prononcées (des amendes généralement inférieures à 2 000 euros).
Dans 80 % des cas, il s'agit d'affaires menées à terme car les acheteurs ont avoué les faits, souvent pour éviter la publicité d'un procès. Depuis 2011, la peine de prison potentielle est passée de six mois à un an. Mais aucune peine d'emprisonnement n'a été prononcée à ce jour.
Le nombre des clients a baissé, selon les auteurs du rapport, et les trafiquants ont plus tendance à éviter la Suède. Aucun signe ne montre une prostitution plus clandestine ou un regain de violences, contrairement aux idées reçues. Autre aspect positif : la loi aurait servi de rempart à une propagation de la criminalité organisée.
Porté lors de son élaboration par la Fédération des femmes social-démocrates, le projet de loi ne faisait pas l'unanimité au sein même du principal parti suédois. " Il s'agit pour nous de marquer que la société n'accepte pas qu'un homme puisse acheter une femme pour son plaisir. Cela a très peu à voir avec la sexualité ", martelait Inger Segerström, alors députée et présidente de la Fédération des femmes social-démocrates.
Le parti conservateur de l'actuel premier ministre, Fredrik Reinfeldt, avait voté contre, et l'actuelle ministre de la justice, alors dans l'opposition, y était opposé. Aujourd'hui, le texte est accepté par tous les partis et il est même envisagé de durcir les peines. Mais, contrairement aux espoirs et efforts de la Suède, la loi s'est peu exportée, à l'exception de l'Islande et de la Norvège.
L'évaluation positive réalisée par le gouvernement est pourtant contestée. L'historienne des idées Susanne Dodillet conteste l'idée selon laquelle la diminution de moitié de la prostitution de rue correspond à une baisse réelle de la prostitution en Suède. Selon elle, une partie est sans doute passée à la clandestinité, dans des appartements régulièrement changés où les clients sont conduits jusqu'aux prostituées par des intermédiaires.
La Fédération pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels regrette que l'amalgame soit fait entre la prostitution relevant du trafic d'êtres humains et celle entre personnes consentantes. L'Alliance rose, qui représente un groupe de travailleurs du sexe, reproche à la loi son féminisme radical et veut mettre en avant la défense des droits de ses membres.
La police a du mal à savoir à quel moment intervenir, sachant que sa principale mission est de prévenir le délit. Le rapport s'inquiète particulièrement des moyens de protéger les jeunes trop exposés sur Internet où ils sont très nombreux à recevoir des propositions pécuniaires. Dans une enquête réalisée en 2009, 43 % des 16 -25 ans interrogés considéraient comme acceptable d'avoir une relation sexuelle contre paiement si les deux partenaires étaient d'accord.
Olivier Truc. Lemonde.fr