Pauvre, malheureux, Président de la République
Un Président de la République ne peut aujourd’hui plus grand-chose à lui seul pour la France. Oui, bien sûr, il pourrait supprimer les départements, placer les prestations sociales sous conditions de ressources, développer l’apprentissage ou revaloriser l’enseignement technique. Tout cela, et bien d’autres choses, ferait d’excellentes réformes trop longtemps retardées et qu’un chef de l’Etat peut lancer mais, sur le fond, sur l’essentiel, sur ce qui compte vraiment, sur la croissance et le chômage, non le temps est révolu où la France et son président pouvaient agir seuls.
Il n’y aura pas de retour à la croissance, non pas à quelques décimales de plus mais à une croissance créatrice d’emplois, sans une ré-industrialisation massive qui passe elle-même par un colossal effort de recherche, des investissements d’infrastructure, une vraie déclaration de guerre aux paradis fiscaux et aux ponctions qu’ils opèrent sur les rentrées fiscales des Etats, sans une redéfinition, aussi, surtout, avant tout, des termes du libre-échange qui permettent aujourd’hui à des pays dont les coûts de production ne sont pas alourdis par la moindre norme sociale d’éliminer des industries qui ne peuvent heureusement pas revenir à ce qu’était la condition ouvrière au 19ième siècle.
Or aucune de ces conditions de la ré-industrialisation, un pays comme la France, même un pays aussi riche et puissant que la France, ne peut même rêver de les rétablir à lui seul et, sauf à biaiser, temporiser et se payer de bonnes paroles qui ne trompent plus personne.
Il est temps de dire aux Français, noir sur blanc, que le redressement de la France, sa croissance et son plein emploi, sont désormais conditionnés à l’affirmation de l’unité européenne, oui, de cette Europe toujours plus désaimée mais sans laquelle rien de fort ne sera possible. Car enfin… Imagine-t-on que la France, ou même l’Allemagne, puisse à elle seule imposer quoi que ce soit à la Chine ? Imagine-t-on qu’une seule des puissances européennes puisse, à elle seule, mettre au pas les paradis fiscaux, peser face à des capitaux d’ores et déjà sans frontières, réduire ses dépenses sans les partager ou investir ce qu’il faudrait dans la recherche, l’enseignement et la modernisation des infrastructures ?
Chacun le sait, la réponse est « non » et la responsabilité des dirigeants européens est de dire que l’Europe ce n’est pas simple mais que rien n’est simple et qu’on ne fera rien de solide sans son unité. C’est leur responsabilité mais il en est une autre qui n’est pas moindre – celle des citoyens qui doivent enfin accepter d’entendre une vérité que tous connaissent au fond d’eux-mêmes.
France Inter / Bernard Guetta, le 27 mars 2013