La prostitution en France




A Nantes, des prostituées roumaines et nigérianes racontent la dureté d'un travail pourtant nécessaire à leur survie

Elles éclatent de rire à tout bout de champ, les deux soeurs Ana et Maria. Maquillage bleu électrique sur les yeux et rose sur les joues, vêtements moulants, talons vertigineux, elles sont au travail, sous leur Abribus au bord de la Loire, à Nantes. Il est minuit passé et seule Ana a eu un client. Mauvaise nuit, mauvaise période - la crise a les mêmes effets sur le trottoir qu'ailleurs. Maria, 27 ans, est arrivée de Roumanie la première, il y a quatre ans. Une amie lui avait dit qu'elle pourrait gagner " beaucoup d'argent " en se prostituant. Mais avec deux enfants et un mari à charge, elle a du mal à s'en sortir.
Ana, 30 ans, l'a rejointe un an après. " Je veux juste vivre mieux ", dit-elle dans un Français débutant. L'argent ne coule pas à flots pourtant, et ce n'est pas un travail simple. " C'est difficile de se déshabiller pour de l'argent, raconte Ana. Ça me tape sur les nerfs. Je suis amoureuse de quelqu'un d'autre, vous voyez ? C'est dur. Alors je pense à l'argent. " Des larmes se mettent brutalement à couler quand les deux soeurs évoquent leur mère en Roumanie, qui ignore comment ses filles gagnent leur vie.
 Comme partout en France, ce sont quasiment toutes des migrantes, ici pour la plupart des Roumaines et des Nigérianes.

Favor, une Nigériane de 25 ans, ignorait qu'elle allait se retrouver sur le trottoir en arrivant en France. " Je m'attendais à quelque chose de différent, de normal, dit-elle. Il n'y a pas de travail facile, mais celui-là est particulièrement difficile. On prend beaucoup de risques. 
Comment sont-elles arrivées jusqu'ici ? Combien doivent-elles à ceux qui ont organisé le voyage ? Quel pourcentage de leurs gains versent-elles à des proxénètes seuls ou appartenant à un réseau ? Elles n'en diront rien, car elles affirment toutes travailler pour leur propre compte. La police pense le contraire, en particulier dans le cas des Nigérianes. Les cérémonies rituelles avant le départ, les menaces qui pèsent sur les familles restées au pays sont connues. Elles affirment d'ailleurs souvent avoir découvert leur activité en arrivant en France, dont elles ne connaissent pas la langue. Tracy, 25 ans, imaginait même qu'elle allait continuer ses études d'infirmière.
Les langues se délient sur les raisons de leur voyage. " En Roumanie, même si tu travailles cent ans, tu ne pourras jamais t'acheter une maison ", lance Tiffany. " La vie est très difficile au Nigeria, renchérit Favor. Nous sommes très pauvres. Mes parents sont agriculteurs, j'ai 5 frères et 4 soeurs. Je veux les aider. " " Quand tu habites dans un pays difficile, si tu as l'opportunité de partir, tu pars, résume Juliette, 24 ans. Pour ta propre survie et celle de ta famille. "
Ont-elles des regrets ? " Quand j'aurai des papiers, je n'aurai pas de regrets, répond Juliette. Mais je préfère être ici sur le trottoir qu'au Nigeria. " Elles voudraient un autre travail, mais surtout pas rentrer au pays. Leurs autorisations de séjour sont temporaires, voire inexistantes. Obtenir des papiers est leur Graal. " Celui qui fait ce métier alors qu'il a des papiers est soit fou soit stupide ", affirme Silvia, 25 ans, en secouant la tête.
Elles savent que le gouvernement, qui veut faire disparaître la prostitution, envisage de pénaliser les clients. Cette perspective les remplit d'effroi. " Cette loi ne nous aidera pas, lance Mary. Les clients auront peur et il n'y aura plus de travail. Que ferons-nous ? " Ana pense qu'elle continuera. " Je travaillerai chez moi, assure-t-elle. Les clients m'appelleront. " Dans la rue, la prostitution pourrait baisser temporairement, puis se déplacer vers des lieux plus sombres, plus éloignés plus dangereux, selon elles.
Ces jeunes femmes voudraient que le gouvernement les laisse tranquilles, ainsi que les clients. " S'ils veulent faire disparaître la prostitution, qu'ils nous donnent des papiers ! ", disent-elles en choeur.
Gaëlle Dupont
Des doctrines opposées
Le réglementarisme défend la liberté de commerce des services sexuels et la reconnaissance officielle du métier de prostitué. Les personnes prostituées ont accès aux droits sociaux (indemnités chômage, retraite, etc.).
Le prohibitionnisme impose l'interdiction de la prostitution et la pénalisation de tous ses acteurs (clients, prostitués, proxénètes).
L'abolitionnisme estime que la prostitution est toujours une violence exercée par les clients sur les personnes qui se prostituent, conteste la marchandisation du corps et se donne pour objectif de la faire disparaître. Les prostituées ne sont passibles d'aucune poursuite. Les proxénètes le sont et les clients peuvent l'être.
En France, la prostitution est légale ; sont pénalisés le racolage, même passif, le proxénétisme et la traite des êtres humains.
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