Nommé à une fonction de direction, vous allez pénétrer dans ce que vous imaginez être le saint des saints du pouvoir dans l’entreprise… Détrompez-vous. L’instance est beaucoup moins formelle, impressionnante et décisionnaire que ne le pensent ceux qui l’intègrent. Témoignages.
Carole Muller, aujourd’hui directrice marketing chez HR Access, se souvient avec une grande précision de son premier comité de direction. C’était en 1992. Alors consultante chez un éditeur de progiciels, elle se voit proposer, à son retour de congé maternité, de devenir la directrice marketing de la société. À 32 ans, la voici propulsée au sein du « codir », entourée par de nouveaux « collègues » qui, la veille encore, étaient ses managers. « J’étais assaillie par un pot-pourri d’émotions, se souvient-elle. Excitée, mais anxieuse : me montrerais-je à la hauteur ? Serais-je à l’aise avec ces anciens chefs devenus mes pairs ? Très curieuse aussi : qu’allais-je trouver dans ce fameux comité de direction ? »
Carole Muller débarque à la réunion les bras chargés de dossiers. « J’avais longuement préparé la réunion, témoigne-t-elle. Je ne voulais pas risquer d’être prise en défaut. Bien sûr, il y avait un ordre du jour, mais c’est le dernier point, “Autres sujets”, qui me causait le plus d’inquiétude ! »
Ni Conseil des ministres ni état-major
Comme Carole Muller, beaucoup de cadres intégrant le comité de direction s’imaginent pénétrer dans le saint des saints de l’entreprise, le lieu du pouvoir, de la prise de décision et de la haute réflexion stratégique. C’est rarement le cas. « Le comité de direction n’est ni le Conseil des ministres ni l’état-major d’armée que l’on fantasme, prévient Thierry Chavel, auteur du Coaching de dirigeants (éd. d’Organisation). C’est rarement un lieu de décision aussi terrible et aussi flamboyant que l’on se l’était figuré. »
Le codir démystifié ? Un constat que partagent la plupart des cadres qui y sont passés. « J’attendais une réunion plus formelle que celle à laquelle j’ai assisté, indique Marc (1), responsable d’activité dans une banque d’affaires. Chez nous, le comité de direction ne dure pas plus de deux heures, c’est surtout une occasion de rassembler tous les responsables de l’entreprise pour discuter des sujets en cours. »
Même écho chez Véronique, qui a intégré en tant que directrice marketing le comité de direction d’une grosse PME de l’industrie textile : « C’était beaucoup plus simple et de moins haut niveau que je ne le pensais, reconnaît-elle. L’ambiance était presque potache, on n’abordait pas vraiment des questions de stratégie. » Le plus surprenant pour les nouveaux membres, c’est que le comité de direction est rarement un lieu de décision – en tout cas pas comme ils l’avaient envisagé.
Rarement un lieu de décision...
Ce fut la découverte de Gilles Rubinstenn quand il intégra l’un des comités de direction de L’Oréal, après quatre ans dans le groupe. « Je m’étais figuré un tour de table, des interventions structurées de chacun des membres et des décisions résultant d’une mise aux voix. En fait, j’assistais à un comité informatif, le patron parlant beaucoup et les cadres écoutant et commentant parfois. Je ne voyais pas vraiment les décisions se prendre… » Avec l’expérience, le jeune chercheur a amendé sa vision plutôt candide de la gouvernance d’entreprise. « J’ai compris comment les influences s’agrégeaient et pouvaient, au fil des réunions, se cristalliser en décisions », analyse-t-il.
Valérie, DRH dans un cabinet de conseil, a fait la même expérience. « Je pensais que chacun abordait un comité de direction en ayant vraiment travaillé les sujets à l’ordre du jour. Qu’il y avait donc un vrai débat de fond suivi par des prises de décision. La réalité est différente, corrige-t-elle. Le débat de fond se fait en dehors de l’instance. Et les décisions prises au comité de direction ne sont que l’aboutissement d’une réflexion stratégique entamée bien en amont. »
Jeux d’influence
Et si le codir n’est pas forcément le lieu de décision que l’on croit, c’est bien en revanche un lieu de représentation. Le coach Thierry Chavel le compare à « une scène de spectacle, où entrent en lice pouvoir et séduction et où circulent beaucoup de choses implicites » qui sembleront obscures à l’œil du nouveau membre. « Le comité de direction est un groupe social régi par des règles, animé par des enjeux humains et de pouvoir, souligne Valérie. Malheureusement, on ne vous donne pas le mode d’emploi au moment où vous intégrez l’instance. J’ai mis quatre ou cinq séances à en décoder le fonctionnement. Mes collègues ont trouvé que je m’étais vite intégrée. Moi, cela m’a paru long ! »
Carole Muller a elle aussi été surprise par le poids des jeux d’alliance qui s’établissent pour influencer les décisions. « Je me suis rendu compte que les stratégies de rapprochement entre certains membres sur tel ou tel projet ne correspondaient pas aux affinités de ces personnes en dehors du comité de direction, analyse-t-elle. Ces jeux d’influence et de pouvoir sont essentiels à comprendre, mais l’on ne peut les mesurer qu’une fois qu’on participe au comité de direction. »
Être à l’écoute
Pour décrypter les codes implicites du codir, le meilleur conseil est d’observer. « Étudiez chaque membre, sa fonction, sa personnalité. Repérez qui intervient, qui critique, qui coupe la parole… conseille Gilles Lacour, directeur de l’activité carrières individuelles chez Lee Hecht Harrisson (groupe Altedia). Soyez attentif à l’ambiance, au style, au ton de la réunion. Cela vous permettra de vous mettre au diapason. Car la première impression est durable : vous ne pouvez donc pas vous permettre de dénoter lors de votre première apparition au comité de direction », insiste le consultant. « C’est l’occasion d’être particulièrement attentif à son comportement non verbal, ajoute Thierry Chavel : regarder les gens dans les yeux, se montrer souriant, ne pas consulter son portable ou son Blackberry ! »
La meilleure façon de ne pas commettre d’impair est encore de ne rien dire. « Le silence est un signe de maturité », estime Carole Muller. Même au fil des comités
et une fois l’expérience acquise, mesurer ses paroles reste une règle d’or. Marc l’a appris à ses dépens : « Lors des premières réunions, j’avais tendance à parler assez librement. Puis je me suis rendu compte comment des propos anodins pouvaient se transformer en affaire d’État. Aujourd’hui, je suis plus prudent, analyse-t-il. Quand je parle de mon activité ou de mes projets, je ne donne que les informations nécessaires. »
(1) Les personnes dont le patronyme n’est pas mentionné ont souhaité garder l’anonymat
Le point de vue du président
À la tête de Gazinox depuis trois ans, Thibault Lanxade, P-DG, a instauré un comité de direction trimestriel pour « renforcer la cohésion de l’équipe de direction (six personnes) et impliquer ses membres dans la définition de la stratégie ».
Un véritable engagement. « Ces réunions sont des moments précieux dans la vie de l’entreprise, et j’attends de mes collaborateurs qu’ils s’y impliquent totalement. Cela suppose un important travail préparatoire de chacun pour bien maîtriser ses sujets, mais aussi d’être à même d’intervenir sur tous les points à l’ordre du jour. »
Une vision globale. « Faire partie du comité de direction implique de quitter son point de vue individuel pour adopter une vision plus générale sur l’entreprise et appréhender les problématiques avec du recul. Il s’agit, pour chaque action envisagée, d’anticiper ses conséquences sur ses équipes comme sur tous les autres départements de la société. Les décisions touchant la stratégie de l’entreprise ne peuvent être prises à la légère. Elles doivent résulter d’un consensus. Le codir n’est donc pas le lieu où chercher à imposer ses projets. Il requiert au contraire des réflexions mesurées et une capacité d’écoute et de dialogue chez chacun des participants. »
Des critiques constructives. « Le style n’est pas formel, mais les réunions cadrées : à chacun de faire preuve d’ouverture, d’être capable de critique constructive (on n’aborde pas de problème sans apporter un début de solution) et de ne pas s’exprimer sur un sujet qu’il ne maîtrise pas. »
Marie-Pierre Noguès-Ledru
Avril 2007