L'Europe fait semblant


Selon Jean-Louis Bourlanges député européen: "L'Europe fait semblant..."


L'Europe après l'adoption du traité de Lisbonne a atteint un palier et elle continuera de fonctionner cahin-caha sans développement institutionnel et politique majeur pour au moins une quinzaine d'années.

Pourquoi ?

Parce que le nombre des membres, l'hétérogénéité des économies et des sociétés, le réveil des identitarismes et l'absence de menace extérieure forte et spécifique rendent extrêmement difficile tout progrès important. Le Parlement, comme d'ailleurs la Commission, a peu à peu cessé d'être le laboratoire d'une volonté commune pour devenir un simple lieu d'arbitrage entre intérêts nationaux, un double du Conseil. Du coup, il n'y a plus de moteur dans l'avion.

Pourtant, l'Europe a mis en commun son commerce, sa monnaie, son marché. N'est-elle pas devenue la puissance souhaitée par les Français et vous-même ?

La réponse est non. L'Union européenne a accompagné une évolution à mes yeux bienvenue vers plus de marché et plus de libéralisme. Mais la liberté des échanges et la concurrence non faussée, si utiles soient-elles, ne suffisent pas. Les politiques publiques, c'est autre chose !
Contrairement à une légende tenace, 90 % des politiques et 98 % des financements restent nationaux. Qu'il s'agisse de l'éducation et de la recherche, du droit du travail et de la protection sociale, de l'organisation administrative des territoires, de la justice et de la police, de la défense et de la politique étrangère et même, malgré Maastricht, des politiques budgétaires et fiscales, l'essentiel du pouvoir reste dans les Etats. Dans ces domaines, l'Europe fait semblant. Semblant d'être une solution aux yeux de ses promoteurs et, à l'inverse, d'être une menace aux yeux de ses adversaires qui lui attribuent abusivement la responsabilité de tous les bouleversements économiques, financiers, sociaux et culturels qui procèdent de la mondialisation.

Néanmoins, l'Europe s'est dotée d'institutions puissantes et sophistiquées...

C'est vrai. L'Union s'est dotée de tous les attributs d'une organisation fédérale démocratique : un gouvernement supranational, la Commission ; une chambre des Etats, le Conseil ; une assemblée supranationale élue au suffrage universel, le Parlement ; une cour de justice et une banque centrale. Il ne lui manque qu'une chose, les compétences correspondantes. Elle est donc surdimensionnée institutionnellement. Elle l'est d'autant plus que deux des principales compétences que lui ont concédées les Etats, la concurrence et la monnaie, sont dépolitisées. Assemblée politique d'une Union qui n'aime pas la politique, le Parlement européen, même s'il ne cesse de grignoter du pouvoir, fait trop souvent figure de porte-avions condamné à faire des ronds dans l'eau.

L'émergence de la Chine, de l'Inde, la menace énergétique et sur le climat ne vont-elles pas engendrer une volonté d'intégration plus forte ?

Dès lors que les Etats se sont arrangés pour garder dans leurs escarcelles l'essentiel des responsabilités politiques, ils ne peuvent envisager d'action commune que sous la forme d'une coopération classique entre gouvernements. Or celle-ci est incapable de donner naissance à des politiques traduisant une véritable ambition. Regardez le processus de Lisbonne en 2000 : on a défini des objectifs mirifiques qui devaient faire de l'Europe la puissance économique la plus compétitive du monde, et il n'en est pratiquement rien sorti puisque la réalisation de ces objectifs reposait exclusivement sur la capacité de chaque Etat à faire le travail chez lui. La valeur européenne ajoutée était quasiment nulle.


Certes, mais l'Europe garantit la paix, et les élargissements successifs ont été l'instrument d'une politique de puissance permettant de l'étendre...

Je suis de ceux qui pensent que ce n'est pas l'Europe qui a fait la paix, mais la paix qui a fait l'Europe. Je reconnais le caractère scandaleux du propos puisqu'il signifie, à rebours de ce que pensent les Français, que c'est la Pax Americana, la sécurité et la sérénité qu'elle a apportées aux Allemands, aux Français, aux Italiens et aux Bénéluxiens qui leur a permis de s'engager sans crainte sur la voie du rapprochement et de l'intégration. Aujourd'hui, l'Union européenne s'efforce de jouer vis-à-vis des peuples de sa périphérie le même rôle que les Etats-Unis vis-à-vis d'elle il y a un demi-siècle. Le problème, c'est qu'elle ne s'est pas donné les moyens de son ambition comme on l'a vu et comme on risque de le voir encore en Yougoslavie.

Cette paix intérieure garantie ne conduit-elle pas d'ailleurs à un émiettement des Etats, comme on le constate en Belgique, voire en Espagne avec la Catalogne, le Pays basque, etc. ?

Il est vrai que l'Union européenne apporte à des entités infra-étatiques la possibilité d'une sécession sans risque. Ce n'est toutefois pas l'explication principale de la fragmentation actuelle. C'est la crise des grands systèmes idéologiques et des solidarités qu'ils généraient qui favorise ce foisonnement identitariste. Au lieu d'opposer l'Etat national et l'Union européenne, on serait bien avisé d'observer que c'est le même mouvement de refus du partage nécessaire à toute vie collective organisée qui fracasse les Etats nationaux et paralyse l'Union européenne.

Comment jugez-vous l'action de Nicolas Sarkozy en Europe ?

Je suis partagé entre l'admiration et l'inquiétude. Admiration de voir l'efficacité et la rapidité avec lesquelles le président français a contribué à sortir l'Union de sa crise et à réinstaller la France au coeur de la construction européenne. Inquiétude en revanche devant la désinvolture avec laquelle on aborde les questions budgétaire et monétaire et celle du respect de nos engagements envers nos partenaires. Le paquet fiscal de l'été dernier est le péché originel de la politique européenne du nouveau président. L'Union n'est pas un prolongement du jardin à la française et il ne suffit pas à la France de dire ce qu'elle veut pour que ce soit la volonté de tous.

Propos recueillis par Arnaud Leparmentier

Article paru dans l'édition du journal "Le Monde" 02.12.07






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